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Aujourd’hui, c’est mon anniversaire

 
En février dernier, le T.E.C. commençait l’aventure des Lectures chorégraphiées – événement en partenariat avec la Sorbonne Nouvelle et la Théâtrothèque Gaston Baty – par une soirée consacrée à Tadeusz Kantor, figure de proue du théâtre d’avant-garde du XXe siècle, principale source d’inspiration d’Elizabeth Czerczuk.
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire est l’œuvre ultime de T. Kantor, qui n’a pu être parachevée par le maître lui-même, décédé en décembre 1990, un mois avant la première (au Théâtre Garonne, à Toulouse). Elizabeth Czerczuk continue donc de suivre les traces de Kantor pour emmener les spectateurs d’aujourd’hui dans l’univers imaginé par ce grand créateur.

Après les prémices de cette nouvelle création, le 12 mai 2022,  suivez la deuxième étape de ce processus créatif, le jeudi 30 juin à 20 heures, avant la grande première en octobre prochain.

Nombre de places limité, réservation obligatoire.

Mise en scène et chorégraphie : Elizabeth Czerczuk inspirée de la dernière œuvre de Tadeusz Kantor avec 16 comédiens-danseurs et un quatuor musical.

 

 

Aujourd’hui c’est mon anniversaire : une reconstitution de la mémoire.

Par Sergiusz Chądzyński

1. La lecture chorégraphique

Malgré la documentation extrêmement minutieuse — partitions, photos et enregistrements vidéo — laissée par Tadeusz Kantor à la disposition du théâtre, on peut se demander s’il est possible de mettre en scène ses pièces sans la présence du maître lui-même. Ses interventions en direct pendant la performance ont fait de lui le seul gardien de ce qui reconstitue la mémoire. Il a été l’unique démiurge qui envoyait le message universel sur la condition de la nature humaine. Kantor  se sentait ni acteur ni metteur en scène, il se considérait plutôt comme l’incarnation du théâtre, un « spécialiste en soi ». Elizabeth Czerczuk répond à cette question en s’appuyant sur la dernière pièce de l’artiste : « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire ». Kantor y a travaillé d’octobre 1989 à début décembre 1990. Alors que se déroulent les répétitions, il décède le 8 décembre 1990. La première présentation a eu lieu après sa mort, en janvier 1991, au Théâtre Garonne de Toulouse.

Dans son analyse du jeu théâtral de Kantor, Elizabeth Czerczuk a défini plusieurs étapes de travail, déterminant ainsi sa propre approche de l’œuvre. La première était une lecture chorégraphique, présentée au public le 18 février 2022. Elle était accompagnée d’une table ronde animée par Céline Hersant de la Théâtrothèque Gaston Baty avec la participation d’Aurélie Mouton-Rezzouk, chercheuse et maître de conférences à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne nouvelle.

L’idée des lectures chorégraphiques s’inscrit au programme d’activités du Théâtre T.E.C. dans les domaines de la méthodologie et de la pédagogie, lesquelles, pour Elizabeth Czerczuk, font partie intégrante de l’activité artistique. La présentation d’un morceau de Kantor à une assistance plus large est une tentative d’impliquer les spectateurs dans le processus de création. Une représentation filmée de la pièce de Kantor, projetée sur le mur de la salle de théâtre, accompagnait le jeu des acteurs sur la scène. Leurs efforts étaient commentés et corrigés directement par Elizabeth Czerczuk. Aurélie Mouton-Rezzouk a évoqué cette méthode lors de la table ronde. Elle soulignait l’importance, dans le cas de cette pièce, du processus de reproduction de l’archivage de l’œuvre théâtrale. 

Comme Michał Kobiałka l’a dit dans une interview avec Dariusz Kosiński […] « Aujourd’hui c’est mon anniversaire » est une sorte de machine mnémonique compliquée qui révèle des processus concernant ce dont, comment et pourquoi nous nous souvenons. L’artiste brise lui-même toute nostalgie ou sublimation de la mémoire qui est à la base des mythes et de l’histoire nationale. .... Kantor s’écarte de l’approche traditionnelle de la mémoire et de sa fonction — de Freud aux études actuelles sur la mémoire — et il nous met au défi de nous souvenir de tout et de tout oublier. Ce conseil de la douzième Leçon milanaise fait partie d’un moyen mnémotechnique qui nous donne la possibilité, comme il l’appelle, de « répéter ». Cette répétition, incohérente avec la version originale, nous permettra de voir ce que nous faisons maintenant comme un message « rejeté », mais non « déformé » au sens où Kantor l’entend[1]

La lecture chorégraphique a montré qu’il fallait aborder la tâche d’une manière particulière. Le fait même que le fond de cette répétition – présentation soit un film d’une autre mise en scène situe tous les participants : les acteurs, le public et le metteur en scène, dans les espaces et les rôles différents. Le spectateur a participé à deux événements, deux lectures, celle du jeu dramatique et celle de la vidéo, tandis que les acteurs et le metteur en scène ont fait une seule lecture critique de la pièce. Les interventions fréquentes d’Elizabeth Czerczuk, assise derrière le pupitre du metteur en scène, ont prouvé que le processus créatif en est au stade de la recherche de sa propre forme d’expression. La démarche de diriger le spectacle n’allait pas être la même que dans le cas de Kantor. Cette fois, le metteur en scène prend sa place de façon classique, il est à l’extérieur et non à l’intérieur du spectacle, il ne joue donc pas un double rôle.

Le spectateur, quant à lui, a plutôt été conduit par un fil, semblable à celui d’Ariane, dans un laboratoire dans lequel on cherche la formule alchimique du spectacle. Comme il arrive dans ce théâtre, il doit jouer un rôle actif de catalyseur. Certes, pour ceux qui n’ont pas été confrontés à de telles méthodes, l’expérience devient très choquante. Simultanément, cela a permis au spectacle de prendre la bonne voie pour sa future version. La recherche de la mémoire chez Kantor oblige toute tentative de mise en scène de ce type de chef-d’œuvre à une création nouvelle, à trouver des moyens d’expression originaux et, maintenant, à préserver le sens de l’œuvre originale. Irena Górska déclare […] « la dernière représentation de « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire », qui confirmera symboliquement que, d’une manière plus littérale, la biographie de l’auteur et la biographie de l’œuvre s’identifient l’une à l’autre. L’œuvre d’un artiste est donc un test de soi dans une dimension psychologique, mais aussi physique, biologique.”[2]Elizabeth Czerczuk comprend parfaitement ce message.

2. À la recherche de l’expression (la première séance dramatique chorégraphique)

La seconde étape, de la création de Czerczuk, consistait à présenter des fragments de la pièce le 12 mai : le spectateur a été confronté à une construction plus fluide, mais pas entièrement polie, ce qui était prévu. Ceux qui ont assisté à la première lecture ont pu constater à quel point le spectacle avait évolué. Cette fois-ci, nous avons eu l’occasion de participer à un essayage de la performance définitive. Le jeu des acteurs a gagné en assurance et en finesse, Elizabeth Czerczuk elle-même a interprété une scène vue dans d’autres de ses productions. Elle a aussi démontré explicitement que nous étions déjà dans son monde de rêve et dans son jardin fantastique. C’était un transfert de la réalité du texte, de sa didascalie vers une autre dimension. La méthode d’Elizabeth Czerczuk puise généreusement dans le trésor de Kantor. Comme lui, Czerczuk ne se concentre pas sur la présentation des événements dans le sens chronologique et caractéristique d’une pièce de théâtre jouée de manière classique. Elle construit des images destinées à susciter de fortes réactions émotionnelles chez le public. De plus, elle stimule l’ensemble du processus intellectuel et créatif. Ainsi, chacun peut se constituer le fil de l’intrigue littéraire à partir de ses propres fragments de souvenirs et de sentiments. La différence entre Kantor et Czerczuk réside dans les moyens d’expression. Dans l’approche de Kantor, la parole, la scénographie et l’orchestration sont des éléments indépendants. Ils collaborent. Le théâtre de Czerczuk, toutefois, radicalise l’expression et le mène à l’incarnation totale de tous les éléments. Par ailleurs, il convient de noter qu’une nouveauté dans le spectacle est l’élargissement de l’équipe de musiciens, qui peut être à l’avenir remplacera la lecture d’enregistrements sonores. Toute cette instrumentation conduit à une graduation de la tension et de la dynamique des scènes individuelles. Les images racontent à chacun de nous notre histoire personnelle : la cruauté et la tragédie de la guerre vécue directement, vue à la télévision ou sur Internet sont exprimées par un groupe d’acteurs avec des valises armées des baïonnettes. Le bruit tonitruant et la clameur de la civilisation dans la scène avec les journaux éveillent en nous divers sentiments de la réalité quotidienne. La scène avec le prêtre fait référence à notre relation compliquée avec les institutions religieuses et notre spiritualité. Les scènes de vie familiale sont chaotiques et bouleversantes. La fin du spectacle nous laisse inassouvis puisque nous ne participons qu’à une partie de la future représentation. Nous attendons la suite, contraints d’interrompre le travail sur la reconstitution de notre mémoire. La partition est suspendue pour le spectateur, tandis que le réalisateur et l’équipe sont soumis à une pression créative constante, comme l’a toujours voulu Tadeusz Kantor.

Pour la petite histoire : le 12 mai est réellement le jour de l’anniversaire d’Elizabeth Czerczuk.

3. À la recherche de l’expression (la seconde séance dramatique chorégraphique) 

Une autre répétition du spectacle, le 30 juin, a montré à quel point la pièce de Kantor peut changer sous la baguette d’Elizabeth Czerczuk. Par rapport à la performance du mois de mai, nous avons affaire à une conception plus mûre et plus raffinée. De nombreuses scènes peuvent être considérées comme bien construites et pensées dans les moindres détails. L’opposition entre les deux groupes, celle d’acteurs et celle de danseurs, en est un exemple. L’un symbolise, par la danse et le geste, tout ce qui constitue le côté sombre de notre civilisation, tandis que l’autre représente les éléments exploités par Kantor et par Gombrowicz : l’esprit de clocher, l’altérité, mais également quelque chose de honteux qui nous fait défaut malgré tout, une sensation qui nous définit d’une certaine manière, que nous le souhaitions ou non. Ceci a été souligné par les textes livrés en polonais par Barbara Orzelowska, qui a joué cette scène techniquement difficile avec une grande précision.

Alors revient la question :  la pièce est-elle fidèle à la ligne de partition de Kantor et dans quelle mesure elle s’écarte et s’envole dans l’espace défini par le concept et l’esthétique d’Elizabeth Czerczuk.

À première vue, on opterait sûrement pour la seconde hypothèse, mais ce serait une simplification excessive. La partition de Kantor peut être lue à la lettre. On peut aussi reconstruire, ce qui semble en fait plus intéressant, la mémoire de cette pièce de théâtre à travers une nouvelle expression. Elizabeth Czerczuk refuse d’être seulement attachée à la didascalie. Elle sait parfaitement que le monde de Kantor contient un message qui va bien au-delà de la lettre du texte. De plus, elle veut exploiter cette réalité dramatique à sa manière tout en préservant l’esprit de « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire ». Une autre raison de cette approche est liée à la vision des événements par Tadeusz Kantor.

En incorporant dans son propre espace mental l’espace du théâtre, qui avait auparavant été disséqué de sa mémoire personnelle, l’artiste a créé sa place la plus intime et la plus personnelle sur scène. Il a créé un espace de mémoire personnelle revitalisée[3].

 Elizabeth Czerczuk est obligée, depuis la partition originale, d’effectuer la reconstruction de mémoire par rapport à ses propres expériences et d’interpréter le scenario selon ses critères de perception de la réalité. Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, n’étant pas son vécu direct, elle doit autrement interpréter les scènes afin d’obtenir l’effet souhaité et la crédibilité du message. Le personnage de la victime de la guerre joué par Zbigniew Rola est la meilleure preuve de ce choix. Il en va de même pour les autres scènes.

Comme nous en sommes encore à l’étape des répétitions et des essais, une réponse définitive concernant cet aspect de la pièce sera donnée lors de la représentation finale en octobre de cette année. N’oublions pas que dans cette production, nous avons assisté à un spectacle, certainement beaucoup plus intéressant que le précédent, mais seulement en forme d’une répétition.

[1]Aujourd’hui, c'est mon anniversaire : une reconstitution de la mémoire.https://www.cricoteka.pl/pl/nie-deformowac-rozmowa-michala-kobialki-i-dariusza-kosinskiego/. Le passage traduit par S.Chądzyński.

[2] Irena Górska, Doświadczenie jako próba dzieła - próba siebie. Pamiętnik Literacki CIII, 2012, c. 2 p.11. Le passage traduit par S. Chądzyński.

[3] Marek Pieniążek, Akt twórczy jako mimesis, „Dziś są moje urodziny 0statni spektakl Tadeusza Kantora, Universitas, Kraków 2005.p. 86. Le passage traduit par S. Chądzyński. 

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