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L’art de désorienter le spectateur

C’est à nouveau à une saga bien étrange que nous convie Elizabeth Czerczuk avec Matka, le second volet de danse-théâtre de son triptyque Les Inassouvis, dont nous avons pu voir le troisième, Dementia Praecox 2.0, dans ce même théâtre-laboratoire en décembre dernier. Un univers sombre, certes empreint de pessimisme mais toujours poignant, nourri par toutes les vicissitudes de notre monde, dans la lignée de ceux de ses compatriotes et maîtres polonais, Tadeusz Kantor, Henryk Tomaszewki et Jerzy Grotowski. Créée à l'origine en 1996, cette nouvelle présentation de Matka qui nous est offerte aujourd’hui bénéficie d’une mise en scène réactualisant les relations entre ses différents personnages. C’est une œuvre puissante, plus théâtrale que dansée mais, peut-être, moins spectaculaire que Dementia Praecox 2.0, laquelle s’avérait être une libre adaptation de la folie au travers des personnages du "Fou" et de la "Nonne" de Stanislaw Ignacy Witkiewicz (cf. mon analyse à cette date dans ces mêmes colonnes). Adapté du texte éponyme du même auteur, Matka évoque à nouveau un monde étrange, macrocosme de contrastes tout aussi surréaliste qu’absurde dans lequel se dessine au final une lueur d’espoir. Un univers au sein duquel l’on retrouve certains des fous de Dementia Praecox 2.0 parvenus à franchir les barrières de l’enfer pour gagner un purgatoire, pré-paradis où la guérison de leur mal s’avère imaginable. On y retrouve la mère et son fils, respectivement incarnés d’une façon poignante et fort réaliste par Elizabeth Czerczuk et Zbigniew Rola, ainsi qu’une partie du petit monde des fous de Dementia Praecox, dès lors devenus immatériels après avoir perdu quelques bribes de leur apparence humaine. Une œuvre de théâtre total aussi dérisoire que parodique au sein de laquelle l’amour côtoie à nouveau la mort, leitmotiv dans l’œuvre de cette chorégraphe dont l’ambition est de « faire de la folie un art raffiné en célébrant des mariages improbables ».

Le spectacle réunit autour de la mère et de son fils six danseuses, trois musiciens et un narrateur, lequel d’ailleurs ouvre la soirée dans l’atrium du théâtre en déclamant quelques poèmes, entre autres de La Fontaine, Ronsard, Baudelaire, Lamartine ou Verlaine, laissés au choix et à l’appréciation des spectateurs. Mise en condition aussi surprenante que déstabilisante quand on sait que la suite du spectacle qui n’a rien d’éthéré va paradoxalement nous plonger dans la décadence « où l’alcool coule à flots, où la drogue circule plus librement que la parole »… Bien plus que de nous surprendre, l’art d’Elizabeth Czerczuk se veut un "art du choc" au sens propre du terme, « un art contre les aliénations de notre époque, sans compromis ni demi-mesure » dit-elle. C’est effectivement le but qu’elle atteint, tout d’abord en déroutant le spectateur par ses images-choc violentes et colorées à l’extrême (mais d’une certaine beauté dans leur laideur), clichés que l’on se refuse parfois même à admettre… Par cette prise en otage volontaire du spectateur ensuite, lequel, surpris, intimidé, voire abasourdi, n’a guère le temps de réagir, sinon de s’y soustraire en s’enfermant dans sa coquille. Images reflétant bien évidemment la fragilité et la faiblesse de l’Homme mais aussi sa couardise et son incapacité à communiquer autant qu’à réagir et, partant, son intempérance et ses excès… L’amorce de dialogue et la lueur d’espoir qu’elle prône ne surviendront que tout à la fin du spectacle, à l’instar d’une délivrance. Une œuvre visionnaire électrisante, aussi violente qu’étonnante, à mi-chemin entre le théâtre, l’opéra-rock et la danse, qui donne à réfléchir et qui ne peut laisser indifférent.

 

J.M. Gourreau, Critiphotodanse

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