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Les Inassouvis ou l’exubérance cathartique du théâtre d’Elizabeth Czerczuk

 
 
C’est un spectacle énigmatique de toute beauté, parcouru par le souffle de l’âme slave, les fantômes du théâtre de Kantor et la folie de Witkiewicz qui se joue actuellement au tout nouveau Théâtre Elizabeth Czerczuk. 
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 Les Inassouvis, 2018. Tous droits réservés.
 
 
C’est une curiosité tenace qui nous a poussé à enfin passer les portes du Théâtre Elizabeth Czerczuk, un an après son ouverture, un froid soir de novembre, pour découvrir, non seulement le lieu, nouveau venu dans le paysage théâtral de l’est parisien, son ambiance particulière, son accueil hors du commun, mais également la création du moment, sortie du cerveau bouillonnant de sa directrice, “Les Inassouvis”. Soit 3h30 d’un théâtre visuel et chorégraphique qui emporte le spectateur dans son tourbillon d’images venues d’ailleurs, enveloppe de son lyrisme ténébreux, sans que la durée ne soit un problème, au contraire, surtout quand une généreuse soupe chaude nous est servie lors du deuxième entracte, accompagnée d’un verre de vin, dans le bar spectral du théâtre. Car ici, tout est envoûtement et à peine pénètre-t-on l’entrée de cet antre dédié à un théâtre nourri de racines slaves, renouant avec Kantor, Grotowski et Witkiewicz qu’on est happé par la présence invisible de la maîtresse de maison, Elizabeth Czerczuk, qui irradie le moindre détail scénographique de ce manoir hanté où l’hospitalité est un art. Mannequins déglingués, bougeoirs allumés, obscurité de mise, fruits en libre service, jardin d’hiver, belle exposition temporaire de photographies de Guy Delahaye, le lieu déconnecte illico du quotidien, nous entraîne au pays des songes et des fantasmes, des cauchemars cathartiques, des fêtes ésotériques et secrètes. De même, le spectacle est une invitation à passer de l’autre côté du miroir, dans la continuité directe de la philosophie de la maison qui l’abrite. Les comédiens viennent nous chercher eux-mêmes, nous prennent par la main au sens propre du terme, pour ne plus nous lâcher, tant la représentation privilégie le rapport de proximité au public, son inclusion même.
 
Conçu en tableaux successifs où l’image prime sur le sens et la sensation sur la compréhension, “Les Inassouvis” nous plonge tête la première dans un univers expressionniste et crépusculaire nappé de musiques excessives et envahissantes qui nous prennent aux tripes. Violons et accordéons s’y  donnent la réplique avec passion, impétueux, exaltés jusqu’à la moelle, au service de cette fresque chorale torturée et névrotique où les femmes ont la part belle et le rendent bien tant elles sont magnétiques. Treize interprètes, dont Elizabeth Czerczuk elle-même, se partagent le plateau, diffracté en différentes zones de jeu, sans arrêt bouleversées par des reconfigurations de l’espace provocantes et dynamiques. Le public, plusieurs fois déplacé au cours de la représentation, invité à danser sur scène, n’a pas d’autre choix que d’être partie prenante mais sa sollicitation est faite avec tant de générosité et de bienveillance que personne ne s’y oppose. Si “Les Inassouvis”, dans son contenu, brasse moult motifs (discipline, éducation, folie, art, maternité, monstruosité, émancipation, exil, questionnements identitaires), portés par des errants sans pays (les interprètes sont issus de nombreuses nationalités différentes, ce qui fait la richesse et l’enjeu du spectacle), ce que l’on retient avec le plus d’émotion, ce sont ces scènes de danse de groupe, puissantes, sublimées par des danseuses fascinantes aux visages fardés. Elles sont l’âme et le corps de cette expérience troublante, étrange et tourbillonnante, venue d’un autre siècle, d’un autre temps, dans laquelle on se laisse transporter avec délice. 
 
 
Marie Plantin, Pariscope, 22 novembre 2018
 

Se taire

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 Les Inassouvis, 2018. Crédit photo : Woytek Konarzewski
 
 
Gloire au critique s’efforçant d’exhumer ce que le quidam saurait sans le savoir : qu’il repaisse le lecteur d’une verve couchant l’idéel sur le papier — le créateur lui-même déclarant : tu as éclairé mon inconscient. Or, que dire devant Les Inassouvis d’Elizabeth Czerczuk ? Vaste entreprise d’une libre adaptation de trois pièces de Witkiewicz, écrirait l’esprit informatif conféré à quelque honnête main googlisante. Trilogie inégale, dirait plutôt le critique, tant le Matka déçoit par le côté gala cheap se substituant aux performances hantées que le splendide Requiem pour les artistes éblouit dans une veine très La Classe Morte, et par l’individuation un tantinet bavarde des personnages que le Dementia Praecox 2.0 diffractait avec brio dans une folie baroque que le théâtre contemporain regrette terriblement avec la disparition d’une époque d’avant-garde polonaise… Le même critique aurait agrémenté d’exemples et d’une dithyrambe sur le théâtre au nom de sa directrice, digne maison de fantômes kitsch revue à neuf l’année dernière — la dégringolade d’accessoires bariolée de lumières LED basse qualité rencontrant le portrait du maître Kantor, qui guide continûment Elizabeth Czerczuk aux côtés de Grotowski et Tomaszewski… Mais au fond, qu’importe ? Il faut suspendre sa parole critique pour parler des Inassouvis : car voilà une expérience ineffable à l’intérêt strictement empirique. Ce que j’abhorre souvent au théâtre, je l’ai trouvé ici magnifié : inclusion forcée du spectateur, récital de poncifs théâtraux… Allez savoir pourquoi, je retiens que, ce soir-là, j’ai eu, pour la première fois, des larmes en rentrant dans une salle de théâtre (a-t-on vu une atmosphère plus fracassante ?) ; que, dansant avec plusieurs comédiennes, j’ai conservé, sur le chemin du retour, leur odeur souterraine imbibée sur mes vêtements — celle que la Czerczuk dépose avec finesse sur leurs tuniques défraîchies… À quand le manifeste pour un théâtre odoriférant ? L’on sortira sans aucun doute des Inassouvis comme d’un rêve lugubre : ne fut-ce point, au fond, le désir de Witkiewicz ? Voilà ce qu’il faudrait retenir : Les Inassouvis, oeuvre synesthétique, met en lumière le génie d’Elizabeth Czerczuk ; la meilleure façon de l’encourager serait, quitte à risquer le romantisme, d’en taire les admirables raisons.
 
 
Victor Inisan, I/O Gazette, 20 novembre 2018
 

Les Inassouvis, une expérience unique à vivre le temps d'une soirée

 
Les Inassouvis, 2018. Tous droits réservés.
 

Un hôpital psychiatrique a récemment ouvert ses portes en plein Paris. Ses patients, comme Alberto, Léon ou Matka, vous accueilleront dignement, avant de vous faire entrer dans une folle farandole. Là-bas, qu’ils soient patients, visiteurs ou infirmiers… tout le monde est fou.

Quand on vous parle d’art contemporain, vous vous hérissez. Ça se comprend. C’est une culture à part, assez spéciale, et très certainement pas à la portée de tout le monde. Et pourquoi pas ? Hier soir, on a vécu une expérience qu’on n’oubliera probablement jamais. Alors que, croyez-nous, on est bien loin de regarder Arte le soir.

La première chose à constater lorsque l’on entre dans cette antre mystique, c’est la lumière tamisée qui nous plonge dans une ambiance obscure. Aux murs, des portraits et tableaux. Des mannequins sont éparpillés dans l’espace, vêtus tels des gothiques. Et des objets, dont on ne comprendra l’utilité que plus tard.

L’accueil n’en sera pas moins chaleureux. L’équipe du lieu vous attend dans un bar cosy, avec une grande terrasse extérieure. On vous y propose d’attendre tranquillement le début de la pièce. Jusqu’à ce que deux gardes militaires d’apparence allemande surgissent au pas en hurlant, faisant leur ronde.

Alerte, on les aurait suivi d’instinct si on ne nous avait pas rassuré et invité à rester en place. Parce qu’à partir de cet instant, nous faisons désormais, nous aussi, partie de la pièce. Débarque alors une bande de fous à lier, qui nous prennent par la main et nous entraînent dans ce qui deviendra une danse éternelle.

Ce qui se passe derrière les portes de la salle de représentation reste secret. Pour le découvrir, il faut se rendre au Théâtre Elizabeth Czerczuk, où se joue la pièce Les Inassouvis. Dans cet asile moderne inspiré des écrits de l’auteur polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz, vous deviendrez fou. Personne n’échappe au joug de ses occupants, qui vous feront rire, pleurer, danser…

Cette mise en scène d’Elizabeth Czerczuk traite de bien des troubles émotionnels. Enfance, famille, amour, solitude, ivresse et mort s’entremêlent pendant ces quelques heures. Comme le sentiment d’être bloqué dans le cerveau d’une seule et même personne, que l’on apprend à connaître et parfois même à comprendre. Avant de céder à sa propre folie.

On vous recommande chaudement d’aller constater par vous-même l’ambiance du théâtre, et vivre ce triptyque impressionnant. Un moment hors du temps, hors de la réalité

 
 Lucas Javelle, Le Bonbon Nuit, 18 novembre 2018
 

Artistes à la Folie

 

Au T.E.C, proche Place de la Nation, Elizabeth Czerczuk sonde la face la plus noire de l’âme humaine dans Les Inassouvis, spectacle baroque et chorégraphié. 

Elizabeth Czerczuk aime le théâtre qui ose et creuse dans les tréfonds de l’âme humaine. Sous l’influence de ses maîtres spirituels, Jerzy Grotowski et Tadeusz Kantor, la comédienne et metteuse en scène polonaise le prouve à nouveau avec Les Inassouvis. En fait, cette pièce est composée de Dementia Praecox 2.0, Matka et Requiem pour les artistes, spectacles présentés séparément lors des dernières saisons au Théâtre Elizabeth Czerczuk. Dans le premier, où l’on parle notamment de la souffrance de l’artiste, on croise des personnages, aux yeux exorbités, gestes convulsés et à la démarche de zombies. Habillés dans ce qui ressemble à des camisoles de force, ils tentent d’échapper à leur condition dans un mouvement ultra chorégraphié.

Poupées désarticulées

Car le spectacle, où s’entrechoquent les langues et les rires désespérés, n’est pas seulement un cri ou une plongée dérangeante dans la folie, c’est également un ballet impressionnant de poupées désarticulées.

Celles-ci dansent sur une musique aux accents des pays de l’Est (mais pas que) et invitent le public à y prendre part. Dans le second segment à peine plus apaisé, on retrouve le personnage de Matka, une mère manipulatrice, inventée par le dramaturge Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939), auteur pionnier de la modernité artistique en son pays. Cette femme-monstre a engendré Léon, un fils ingrat et artiste raté. Dans des costumes gothiques, Elizabeth Czerczuk incarne cette mère éplorée, noire puis blanche, comme dans un dernier sursaut de pureté.

« Je suis unique »

Requiem pour les artistes, dernier et impressionnant volet, jette un pont entre le passé et le futur. Avec leurs lourdes valises, les vivants et les morts se retrouvent dans un purgatoire, conséquence de leur existence dissolue. Chacun rêve de s’émanciper et de briser ses chaînes. « Je suis unique », écrit l’un des personnages, comme pour prouver son humanité pleine et entière. Là encore le spectacle, davantage chorégraphié et physique, fait dans le tourbillon mélancolique, hypnotisant et l’uppercut émotionnel. Une radicalité baroque et tragique qui n’exclut jamais. Bien au contraire.

On vous recommande chaudement d’aller constater par vous-même l’ambiance du théâtre, et vivre ce triptyque impressionnant. Un moment hors du temps, hors de la réalité

 
Magali Hamard, L'Officiel des Spectacles, 14 novembre 2018
  

Entre Witkacy et Elizabeth Czerczuk, c’est l’amour polack

 
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Du théâtre qu’elle a aménagé dans le XIIe arrondissement de Paris, une actrice, metteuse en scène et chorégraphe polonaise a fait un antre où l’on croise les fantômes de Kantor, Grotowski ou Schulz, mais d’abord celui de Stanislas Ignacy Witkiewicz dit Witkacy. La preuve par Les Inassouvis.
 
 
Scène de la trilogie "Les inassouvis" © dr Les Inassouvis, 2018. Tous droits réservés.
 
Paris compte désormais une nouvelle enclave polonaise. Tous les amoureux de la Pologne, de ses écrivains et de ses artistes, connaissent la librairie polonaise boulevard Saint-Germain, beaucoup aiment aussi aller fureter à la bibliothèque polonaise sur l’île Saint-Louis, lieu chargé d’histoire où l’on peut assister à des conférences ou encore voir l’exposition permanente et d’autres temporaires. Ils peuvent désormais venir respirer l’air du pays au TEC. Et tous les amoureux des arts du spectacle sont les bienvenus dans ce lieu peu ordinaire.
 
La reine Elizabeth et ses sept danseuses expressives

C’est un théâtre, comme le T du titre l’indique, fondé et dirigé par une créature made in Poland pur jus, EC, Elizabeth Czerczuk. D’ailleurs, le nom de cette créature – plus qu’une femme, c’est une créature en lévitation dans plusieurs époques – se décline partout : sur les marches des escaliers et les palissades de son théâtre, sur les affiches. Elle est au centre de tout et le plus souvent des spectacles qu’elle met en scène et dont elle est l’astre autour duquel tournent des étoiles, en particulier un chœur de sept danseuses (chiffre sacré des contes) formées (elle a aussi ouvert une école) ou transformées par elle en actrices expressives.

Des mannequins au garde-à-vous étrangement parés vous accueillent dans le couloir tenant lieu de hall de cet endroit plus proche de la maison hantée de fantômes que d’un impersonnel théâtre habituel. Deux affiches de Tadeusz Kantor (l’une de La Classe morte, l’autre de Wielopole Wielopole) gardent le bar où la barmaid Anne-Cécile bat des cils en vous servant un excellent Corbières que son caviste favori vient de lui dénicher. A deux pas de là, tutoyant la nuit, se tient un jardin verdoyant où les fumeurs sont les bienvenus. C'est ainsi que, degré par degré, on glisse hors du temps.

Alors, guidés par deux pompiers ou soldats rescapés des premières guerres du XXe siècle, après un arrêt devant une baignoire vide – objet récurrent de bien des spectacles polonais– , on gagne le sous-sol sans fenêtres où, entre des murs noirs, un spectacle inspiré va vous aspirer : Les Inassouvis.

Witkacy, artiste polonais à tout faire

Le titre fait référence à L’Inassouvissement, l’un des grands romans du Polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz dit Witkacy aussi doué pour les romans, les essais, la peinture et la photographie que pour le théâtre. On doit la traduction d’une grande partie des ses œuvres à l’infatigable Alain Van Crugten (ouvrages parus à L’Age d’homme). L’Inassouvissement est un roman où Witkacy met beaucoup de sa vie tout en écrivant un roman d’anticipation où il prévoit, dans les années 30, que les Chinois seront un jour les maîtres du monde.

Dans ses Souvenirs de Pologne, texte écrit dans les années 60, Witold Gombrowicz raconte que Bruno Schulz, Witkiewicz et lui formaient un groupe. Les deux autres ne sont plus là pour étayer ses dires. Witkiewicz se suicida en 1939, lors de l’invasion de la Pologne par les troupes russes et allemandes. Schulz sera tué en 1942 dans une rue, par la Gestapo, de deux balles dans la tête. Gombrowicz, après un long exil argentin, vécut en France où il mourut à Vence en 1969.

De ces trois auteurs, Witkiewicz est sans doute le moins connu en France où on le connaît (un peu) par son théâtre. En Pologne, sa notoriété n’est plus à faire. Ses œuvres peintes, dont celles de sa fameuse firme des portraits, sont exposées dans les musées ; ses photographies, dont bon nombre d’autoportraits cocasses, ont fait l’objet de publication et son théâtre irrigue toute l’histoire du théâtre polonais depuis les années 50. La comparaison est un peu bancale mais on peut dire que Witkacy joua en Pologne un rôle semblable à celui d’Antonin Artaud en France. Tous deux, contemporains, ont écrit des essais sur le théâtre, dialoguant à distance sans se connaître.

Différence notable, Witkiewicz laisse derrière lui une foison de pièces de théâtre. Tadeusz Kantor en a mis (librement) en scène plusieurs, dont Les Cordonniers et La Poule d’eau. L’un des premiers spectacles de Krystian Lupa entrait avec une fougue débridée dans Les Pragmatistes, pièce sur laquelle Félix Guattari devait livrer quelques réflexions.

Une chorégraphie théâtralisée

Rien d’étonnant donc à ce que la polonaise Elizabeth Czerczuk réunisse en les refondant dans Les Inassouvis trois de ses spectacles précédents (soit une représentation de trois heures avec deux entractes), chacun étant très librement inspiré par un texte de Witkiewicz et remodelé : Démentia Praecox 2.0 (d’après Le Fou et la Nonne), Matka (La Mère) et Requiem pour les artistes. Figure récurrente de Witkiewicz et du spectacle, celle de la mère, incarnée par Elizabeth Czerczuk, et dont les sept danseuses sont comme autant de variations et avatars. Elle fait face à des hommes improbables qui apparaissent comme des esclaves ou les mouches du coche. Les costumes, aussi magnifiques qu’extravagants, signés par la Polonaise Joanna Jasko-Sroka ne sont pas pour rien dans le voyage dans le temps où nous entraîne Les Inassouvis

 
Elizabeth  Czerczuk dans "Les inassouvis" © dr Elizabeth Czerczuk dans Les Inassouvis, 2018. Tous droits réservés. 
 

Ce qui unit l’ensemble, c’est une chorégraphie théâtralisée, organisée en tableaux. Y sont récurrents le grotesque bricolé des costumes, les portes coulissantes, les parois pivotantes, les maquillages expressionnistes, les gestes d’automates désarticulés. On y croise aussi des accessoires surprenants comme ce pénis géant, semble-t-il directement inspiré par un dessin de Witkiewicz datant de 1931 et ainsi légendé : « Eulalie préférant une certaine chose dans le style gothique à mort que de la donner à quelqu’un de plus capable dans certaines choses ». C’est peut-être plus encore dans les dessins et les peintures de son auteur fétiche que la metteuse en scène Elizabeth Czerczuk s’inspire. Autre exemple : ce dessin d’un « défilé de masques sous-carnavalesques » datant de 1932 (voir Anna Micińska, Witkacy, la vie et l’œuvre, éditions Interpress-Varsovie). Les mots ici sont presque superflus. Quand ils s’installent, ce qui arrive parfois, le charme s’étiole.

Kantor (dont sont citées les tables d’écolier de La Classe morte) et Grotowski sont pour la directrice du TEC des phares qui l’éclairent, l’un pour le corps, l’autre pour l’espace, sans pour autant chercher à les imiter. « Je ne cherche pas à refaire du Grotowski ni du Kantor mais à inventer un théâtre physique et spirituel qui doit beaucoup à Marcel Marceau [dont elle fut l’élève] et à d’autres artistes dont j’ai eu le bonheur de croiser la trajectoire », explique-t-elle dans le second numéro de la revue publiée par le TEC.

Dans l’héritage décomplexé d’un théâtre gestuel polonais, celui de Józef Szajna (1922-2008) et celui de Henryk Tomaszewski (1919-2001), Elizabeth Czerczuk crée des ambiances à la fois étranges et désuètes, où l’éclairage et la musique originale (Sergio Cruz, Julian Julien et Karine Huet) jouent bien leur partition.

Chaque soir, avant d’entrer en scène, elle songe sans doute à réaliser ce vœu de Witkacy : « En sortant du théâtre, on doit avoir l’impression de s’éveiller de quelque sommeil bizarre, dans lequel les choses les plus ordinaires avaient le charme étrange, impénétrable et caractéristique du rêve et qui ne peut se comparer à rien d’autre. » Il est vrai que le théâtre gestuel du TEC, dans sa clôture et son confinement, ne ressemble à aucun autre.

 
Jean-Pierre Thibaudat, Blog Médiapart Balagan, le blog de Jean-Pierre Thibaudat, 27 octobre 2018
 

Un Rêve halluciné, une Expérience singulière à nulle autre pareille

 

Dans le prolongement des œuvres précédemment créées, Elizabeth Czerczuk invite à vivre avec sa troupe un rêve halluciné, une expérience singulière à nulle autre pareille.    

Etonnant lieu, qui reflète dans sa conception même l’originalité et l’engagement profond de l’art théâtral selon Elisabeth Czerczuk. Une atmosphère rouge grenat, un beau jardin, un bar accueillant, divers objets insolites, dont d’extravagants mannequins… L’attente même du début de la représentation se révèle ici inhabituelle. Bientôt surgissent dans le bar deux militaires casqués inquiétants et grotesques à la démarche saccadée, rejoints ensuite par la vingtaine d’artistes qui composent la troupe. Une assemblée contrastée et saisissante d’aliénés fantomatiques qui nous convoquent dans l’antre du théâtre pour partager un rêve hallucinatoire, une expérience cathartique qui unit dans un même élan tout ce qui la compose. Singulière, cette expérience l’est assurément. Des costumes et maquillages expressionnistes, des mots proférés en plusieurs langues – française, polonaise, hongroise, espagnole, italienne… -, une chorégraphie des corps tout en intensité et contrastes, des relations ambiguës et exacerbées, la mort qui rôde, la vie qui échappe et l’enfance tendue comme un miroir hypnotique : la pièce déploie une succession de tableaux qui pointent la décadence et la mécanisation de l’époque et la nécessité de la création artistique. Si impérieuse qu’elle peut signifier le renoncement à la vie même. Nourrie par les maîtres de l’avant-garde polonaise des années 1950-1970 – Tadeusz Kantor, Jerzy Grotowski, Henryk Tomaszewski -, par l’œuvre de son auteur de prédilection, Stanislaw Ignacy Witkiewicz (1885-1939), l’esthétique singulière d’Elizabeth Czerczuk déploie un art total d’une grande beauté plastique, qui vise à toucher l’âme, à éveiller les consciences endormies.

Un théâtre radical, baroque et hybride

La pièce condense les œuvres précédemment créées : Requiem pour les artistes et son fascinant cortège de morts-vivants, Dementia Praecox 2.0, libre adaptation de la pièce Le Fou et la nonne (1923) de Witkiewicz, et Matka (La Mère en polonais), librement inspiré par la pièce éponyme du même auteur. Les tableaux créés apparaissent parfois abscons, répétitifs, insistants, mais aussi puissamment évocateurs, impressionnants de maîtrise et d’engagement, notamment lorsqu’ils se passent de mots. Le voyage emporte, et on recommande à tous les apprentis comédiens de venir découvrir cet art à part, à la fois dans sa forme et dans sa relation au spectateur. Les objets participent activement à l’élaboration de ce théâtre fondamentalement hybride, on retrouve les pupitres d’écolier de La Classe morte de Kantor, mais aussi des valises, des chaises, des armatures et prothèses exprimant toutes sortes de métamorphoses, obsessions et déclinaisons monstrueuses. Contre une société du divertissement, une « moutonisation définitive » des êtres, ce théâtre radical engage l’être tout entier : les tripes, les émotions et la pensée. L’artiste ici n’est pas un cérébral réfléchissant à une organisation rationnelle, c’est un « gringalet aux nerfs ébranlés » selon les mots de Witkiewicz. Un gringalet sacrément costaud. 

 

Agnès Santi, La Terrasse, 23 octobre 2018

Une Trilogie Ébouriffante

 

C’est dans son tout nouveau théâtre parisien, véritable laboratoire de créativité, qu’Elizabeth Czerczuk, auteur, comédienne, chorégraphe et metteur en scène, présente sa dernière création : une trilogie originale ébouriffante. Une épopée en trois actes, rythmés par une musique originale, qui se composent de tableaux indépendants, mais reliés entre eux par l’esprit des grands maîtres de l’avant-garde polonaise des années soixante à quatre-vingt : Jerzy Grotowski, Tadeusz Kantor, Stanisław Ignacy Witkiewicz.

« Ce spectacle est un manifeste artistique où se confondent la vie et la mort, la haine et l’amour, au sein d’une famille d’individus déchirés par leurs destins. »

D’entrée de jeu, le public est convié à intégrer les différents espaces et à déchiffrer les codes d’une grande parade surréaliste, au cours de laquelle la folie côtoie la beauté dans une chorégraphie époustouflante et délirante.  La création d’Elizabeth Czerczuk, les Inassouvis, est marquée du thème de l’inassouvissement ; ce sentiment oppressant d’un manque désespéré qui renvoie les personnages à la violence de leur propre solitude. Les personnages luttent pour leur objectif sans pouvoir l’atteindre, ainsi que dans l’œuvre de Witkiewicz.

 

Mylène Vignon, Saisons de Culture, 22 octobre 2018

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